MR JODET ET LES CLOCHES DE L'EGLISE

On l'a vu , au cours de cette chronique ... les cloches auront donné bien du mal aux différents curés de Soullans...
Descendues de leur tour pendant la Révolution , elles furent provisoirement remplacées par un petite cloche qui tenait le temps qu'elle pouvait .
En Mai I839 , le tonnerre tombant sur la tour de l'église , avait du même coup ébranlé la flèche du dôme et rompu la plus petite des deux cloches achetées par Mr Raynard .
le I5 Mai , la municipalité avisa au plus urgent . Non sans quelque lésinerie , puis que la reprise de la charpente qu'elle ordonnait raccourcit de douze pieds le svelte jaillissement de la flèche primitive : cette gloire de Soullans et des Soullandais !
Pour la cloche fêlée , il apparut que c'était là affaire à la Fabrique ...
Mais la Fabrique qui venait justement d'engager de gros deniers pour le replâtrage de l'église , n'avait en caisse que : 650 fr. I6 sous 4 centimes : une misère!
On attend 10 ans !
En I850 , la chambrée soullandaise s'enhardit , enfin , à lever pour son compte les droits de place , les jours de foire :
2 sous par charrette et cage à cochons
I sou par pièce de bétail , brouette ,civière , mannequin , sac , panier, sèmeret .
2liards par belin et goret à la corde !
Une manière de coup d'état . Car jusqu'alors seuls les étalages aux bancs des Halles payaient redevance .
Non à la Commune , mais au fermier de Mme Collinet qui avait en I807 avec feu son mari acheté l'immeuble à Mr Badereau de la Mothe , dernier seigneur de Soullans !
Si copieusement achalandé était en ces temps le foirail que la somme de ces menues taxes se chiffra tout de suite par un appréciable revenu !
Quoiqu'il eut horreur de tendre la main , Mr Jodet devant le voue populaire , prit l'occasion de ce fait , en I856 , pour demander à la municipalité le remplacement de la cloche cassée : Refus du Conseil qui voulait d'abord amortir l'emprunt de la route neuve de Massoté ...
Heureusement on était dans une ère de prospérité agricole , ou disaient les Anciens : on voyait plus de jaunets que de pièces de cent sous .
C'est ce qui fit d'ailleurs la fortune du Second Empire : de coïncider avec cette aisance des campagnes ...En I862, la Fabrique se trouve riche de 3.585 fr. I7 sous et 3 centimes ...venant surtout des places de bancs mises chaque année aux enchères !
On décide l'achat de deux cloches . Le contrat passé à la maison Bollée du Mans est signé de : Mrs Jodet , Louis Tesson , Romain Martineau , Jean Cornevin , Jacques Puiroux , Pierre Victor Vrignaud : marguillers Mr Bodet Lacroix , membre de droit en sa qualité de maire , ne daigna jamais siéger ....
Pour le prix global de 5 I56 Fr. , les cloches arrivèrent à Soullans en Mai I863.
Puis ce fut la solennité du baptême !
Il n'y eut à rester au quéray que ceux qui ne pouvaient pas se haler de leur grabat de misère . De cinq lieues à la ronde , on vit s'assembler une gouaillée de maraîchins et de dannions pire qu'à la foire de la St Jean . Trois quartauds de dragées nantaises y passèrent ! Offertes suivant la coutume par les nobles parrains et marraines .
Mr Charles Le Roux de Commequiers et Mme Cheguillaume du Retail pour la petite cloche , qui reçut les noms de Caroline , Pauline Joséphine ...
Mr Gabriel Henri de la Tour du Pin Chambly la Charce :maître du Bois et Mme Le Fournier d'Yauville née Eugénie Louise Jeanne Badereau de St Martin pour le Bourdon : Jacquemine , Marguerite , Gabrielle , Eugénie , Marie ...

Le prêtre baptiseur était le grand vicaire de Luçon , gentilhomme de vieille roche qui s'était fait d'Eglise après la mort de sa jeune femme : brûlée vive au cours d'une réception : Mr L'abbé Henry Victor de Lespinay .
Ces deux cloches de I865 sont toujours en fonction dans notre clocher : ce sont la grosse et la petite de l'actuelle sonnerie
A peine les carillons de leur baptême s'étaient ils tus que les cloches neuves eurent à se lamenter en un glas imprévu..
Le parrain de Caroline , Joséphine , Pauline : Mr Le Roux , atteint depuis longtemps de la maladie de la pierre, s'était trouvé saisie d'une crise au cours du banquet qui suivit la fête ... Le 8 Juin I863 il mourait dans sa lourde bâtisse campée à l'orée de la ville de Challans , le Château , qui de parquet de la Cour féodale de Commequiers -lès- Challans devint l'école des Frères de St Gabriel .
Par son Testament en date du 27 - I2 - I860 , Mr Le Roux faisait don à la Fabrique de Soullans de la métairie du Pin à charge d'une rente de 500 fr. à chacune des deux paroisses de l'ancienne baronnie :Commequiers et Challans .
Le 28 Juin I863 , les marguillers soullandais eurent à se prononcer de l'acceptation ou du rejet du legs fait à leur fabrique .
On l'imagine aisément l'issue du débat ne pouvait être douteuse...
C'était une aubaine pour les finances paroissiales ! Le vestiaire de la sacristie en fut de suite , renouvelé par de belles collections aux couleurs liturgiques ! L'autel en bois qui sert actuellement aux Messes d'hiver à la sacristie date de ce temps là !
Un temps , Mr Jodet songea une nouvelle et belle église ...piqué qu'il fut un jour , c'était en I867 par la réflexion d'un de ses confrères et amis : Mr de Suyrot , curé des Herbiers . Un jour que ses affaires l'avaient conduit en Marais , Mr de Suyrot marqua l'étape à Soullans . Fit visite à l'église . Donna ses impressions . Parla bien de l'ordonnance harmonieuse et noble du vaisseau , du rétable dont la noblesse rappelait celui de St Nicolas des Champs de Paris ! du clocher avec son précautionneux ,étagement de ses deux dômes à chaperons et le soudain élan de sa flèche d'ardoises ...qui évoquait l'âme secrète du marais , calculatrice et apssionnée ... Mais il ajoutait :

Ce qui me déconcerte ! C'est cette immense toiture d'appentis , affalée sur les trois nefs : On dirait d'une de vos granges !

Le curé de Soullans eut beau répliquer ..." Bah ! bah ! le moindre fermier de notre marais juge la grange de son cairay infiniment plus plaisante que vos logis de dannions sur leurs taupinières ... et vider la controverse sur un verre de muscadet : le crû qui toujours , eut l'heur de réconcilier le Pays bas avec le Pays haut , la boutade du curé des Herbiers entraîna son esprit en un obscur cheminement d'impressions .

Dès l'année suivante , Mr Jodet décidait de faire à sa vieille église un visage nouveau ..La Paroisse devenue riche ne se devait-elle pas de marquer la Maison de Dieu de cette noblesse !
Une belle semaine de I869, les gens du bourg eurent donc l'émoi de voir un inconnu , s'emparer de leur église , et , entrant , sortant y lever des dessins mystérieux ...Comme on l'a vu les plans de Mr Clair architecte ne sortiront pas de ses cartons ... D'autres verront le jour ... Mais Mr Jodet ne les verra pas .

Survint I870 ... avec les événements que l'on sait : la guerre , la chute de l'Empire , l'invasion ... L'heure n'était plus à bâtir...
La Fabrique , qui venait de voir son patrimoine s'augmenter de la Borderie du Moulin au vent , sise à Commequiers que venait de lui léguer , en date du 27 Avril I870 , son propriétaire Louis Aimé Cornevin , du bourg de Soullans , engagea , patriotiquement , ses disponibilités liquides dans les emprunts que l'Etat dut faire pour amortir I'indemnité de 5 milliards exigée par la Prusse .
les Archives paroissiales notent aussi qu'en date du 10 Octobre I870 , le Conseil de Fabrique votait une somme de 5.000 Fr. pour sa participation à l'emprunt de 800.000 Fr. voté par le Conseil général pour armer la Vendée !
Plus tard , le 3 Mars I872 , cette même Fabrique souscrira pour une somme 500 Fr. à l'œuvre excellente et méritoire de la libération des provinces occupées par les Prussiens ....
Mr Jodet , lui même payait de sa personne : dans ces mêmes Archives figure une lettre de l'évêque de Luçon disant au curé : Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous offriez de recevoir et de soigner chez vous un ou deux blessés !

En NIOLE ... par une nuit de brouillard

A Soullans , le cheval ne pouvait aller partout ... En Marais le grand moyen de locomotion était la niole pendant la grande partie de l'année ...
Bien sûr Jodet comme tout bon maraîchin savait nioler , la suprême jouissance de son bon temps disaient les Anciens , tenait à vaguer en nioleau ! Les nuits où il y avait un croissant de lune une fois l'aivée venue , un brin de veillée ou une partie d'aluettes avec quelques fermiers servait de prétexte : la vraie raison demeurant de contempler le visage nocturne du Marais ..
Quoiqu'il ne maniât guère le canardier , ne se passionnait-il pas comme pas un , aux mystérieux ébats de la sauvagine , joselles , pluviers , corbréjauds , moretons et bernaches ? Maître nioleur de grande classe , il eut pourtant ses malchances : cette nuit que surpris par une brume jaunâtre qui noyait les confins , il tourna , vira jusqu'à l'aube sans se reconnaître ! Ce soir , surtout , ou il chavira d'une poussée de ningle à faux.!... La mésaventure était de celles qui défrayent la chronique . Bien des années plus tard aux Noces d'or de I882 , Mr Jean Joseph Raballand , curé de Commequiers avec le tour enjoué et délicat dont il avait le secret , se plut à l'évoquer :

Une ningle en sa main virile
Fait voler sur les eaux
Malgré les joncs et les roseaux
La niole à ses efforts docile ....
Docile ?...pas toujours , et l'homme le plus fort
N'est jamais sûr d'aller sans revers à la gloire !
Un jour , digne de mémoire
Jodet le maraîchin , vit chavirer son bord ....
Et le voilà plongeant dans les sombres retraites
De nos grenouilles stupéfaites
A ce vroil tout le camp coassant est ému
Mais le concert interrompu
Reprend vite : cent fois d'autres ont fait de même
On n'est pas maraîchin sans avoir ce baptême
Son Marais , Mr Jodet l'aimait si passionnément que l'en sortir eut été le vouer à la mort ..Si on lui vantait les sites du bocage ...vite il interrompait :
Oui , oui , tout cela est beau et j'aime à le voir un jour ou deux , en passant . Mais rien ne vaut le Marais . Et regardant l'échiquier des prairies et des fossés . Voilà ce que j'aime . Quand j'arrive ici , je respire ailleurs non !

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